Propos recueillis par Leonard Silva
Il aura suffi d’un single au titre prédestiné, « Feel So High », pour hisser son premier album au sommet des charts européens. Desiree Weeks alias Des’Ree revient deux ans après, tenter la même aventure.
Ouverture d’un second chapitre pour celle que le destin devait détourner d’une honorable et conventionnelle carrière académique, une certaine Des’ree, dont les études de psy ont fini par céder sous l’appel de la musique. Un succès remarque pour cette dernière, il y a deux ans, avec « Feel So High », fusion gospellisante de « light funk » aux accents pop-jazz dans la lignée des Regina Belle, Anita Baker et autres dames de la retronuevo …
Avec Mind Adventures, son premier opus, Des’ree s’est livrée aux réflexions inspirées par la nouvelle tournure que prenait son existence. Pas de regrets ni de paroles aigres-douces face à la voracité du show business. A cet égard, « I Ain’t Moving », la chanson-titre de son nouvel album en dit long. Des’ree a incontestablement mûri et cela se retrouve dans l’architecture de ses nouvelles idées musicales. Truffées ici et la de tonalités folk et textures africaines. N’en déplaise aux amateurs de fun gratuit, la nouvelle Des’ree nous place devant le dur apprentrissage d’être « black, british and european »… Elle interpelle son être et ses racines culturelles, faisant de sa musique, à la fois un acte social et de conscience. Des’ree n’est sûrement pas la doublure britannique de Tracy Chapman, mais pour autant, son I Ain‘t Moving n’en sonne pas moins telle une déclaration à tous ceux qui veulent l’entendre. Elle nous a donné les raisons de sa nouvelle démarche…
« Je ne crois plus en l‘abnégation. Je me refuse à être passive, à adopter une attitude du style : je dois me taire et ne rien dire, quand mon entourage ou moi-même nous sentons blessés au plus profond de nous–mêmes concernant toutes sortes de discriminations. »
« Mon album n’est que le reflet de ce que je suis à l‘heure actuelle, entame-t-elle.Si on établissait une comparaison avec Mind Adventures, je dirais que j‘ai surtout, avec cet album, essayé de faire passer un certain nombre de sentiments, d’émotions et de réflexions de mon adolescence. La manière dont je percevais l‘amour, la vie, l‘harmonie, les rapports de force, les gens, le monde… »
En revanche, I Ain‘t Moving est le résultat de deux années de tournées au cours desquelles elle a pris le temps d’analyser l’évolution de son environnement immédtat.
« Cette période a servi à renforcer ma confiance en moi-même et à développer une force spirituelle dont j‘avais besoin pour survivre sur le plan émotionnel, psychologique et créatif, car le « music business » est assez éprouvant... »
Sans doute la raison pour laquelle elle a écrit « You Gotta Be ».
« II doit être considéré comme mon chant de survie, car J‘ai été amenée, au cours de moments d‘anxiété à prendre des décisions importantes ; être dure avec moi–même comme avec certains membres de mon entourage professionnel, allant parfois jusqu‘à les renvoyer pour ne pas avoir respecté leurs obligations à mon égard. Mais cela ne m‘empêche pas de conserver mon calme lorsqu‘il y a des problèmes qui se présentent et que mon entourage panique. Je maintiens aujourd‘hui encore, cette ligne de conduite, indépendamment de la scène ou des studios d‘enregistrement, afin de faire évoluer mon travail. C’est pour cela que « You Gotta Be » est pour moi la chanson de la vérité.
Un état d’esprit que semble confirmer « I Ain’t Moving », la chanson-titre de cet album.
« Je ne crois plus en l‘abnégation. Je me refuse à être passive, à adopter une attitude du style : je dois me taire et ne rien dire, quand mon entourage ou moi-même nous sentons blessés au plus profond de nous–mêmes concernant toutes sortes de discriminations. « Ain’t Moving », en ce sens, apparaît comme le résultat des conseils que ma mère m ‘a prodiguée : Maintiens l‘unité de ton corps et fais-le respecter.. Nourris-le de ta vie et profites-en. Je n’y prêtais guère attention à l’époque. On a tendance désobéir lorsqu’on est jeune, à commettre ses propres erreurs en menant sa vie telle qu’on l’entend. On ne se rend compte que plus tard que l’amour de soi, la foi en soi, la dignité que l’on affiche sont très importants. A cet égard, je n’ai nullement honte de dire : I’Ain’t Moving from my face, from my race, from my history… (je ne suis ni mon visage ni ma race ni mon histoire).
Des propos affirmés dans un pays où comme sur le « vieux continent », on assiste à la résurgence d’une forme de neo-nazisme dirigée contre les minorités hindoues, pakistanaises et afro-caribéennes à nouveau confirmée par l’élection récente du Parti National Britannique (BNP), au Conseil municipal de Tower Hamlets, une circonscription du nord de Londres qui inclut les Docklands.
« Notre histoire a toujours été marquée par un certain négativisme. Nous avons été divisés et nous avons perdu notre fierté. Je pense malgré tout que les Noirs britanniques ont pris conscience de ce qu’ils sont, et ils le démontrent très clairement par leur volonté de s’éduquer toujours un peu plus. »
« C’est terrifiant ! Face à pareille montée des extrêmes, !es minorités en Grande–Bretagne dont je fais partie, ont le sentiment de‘ vivre sous un contrôle rigoureux. C’est à la fois une situation difficile et angoissante car nul ne sait où tout cela peut déboucher. Nous sommes devant des perspectives qui font peur. II nous faut réfléchir, mais je crois que nous –le peuple noir – avons ce qu‘il faut pour relever le défi car comme vous le savez, notre histoire a toujours été marquée par un certain négativisme. Nous avons été divisés et nous avons perdu notre fierté. Je pense malgré tout que les Noirs britanniques ont pris conscience de ce qu’ils sont, et ils le démontrent très clairement par leur volonté de s’éduquer toujours un peu plus. Ils savent que plus ils s’éduquent plus ils s’aiment pour faire face aux défis posés par la société. L’Angleterre se trouve dans une situation où seuls les mieux éduqués peuvent prétendre à la survie. Toutefois, il ne faut en aucun cas croire que les portes s‘ouvrent d‘elles–mêmes aux Noirs britanniques, surtout dans la période agitée que nous traversons...
Raison probable pour laquelle bon nombre d’albums – sont teintés s’un clin d’œil à l’Afrique, à la fois sur le plan de certaines constructions rythmiques, mais aussi – ce qui est relativement nouveau – au niveau de la conception graphique.
« Pour moi, l’Afrique représente le commencement. Tout le reste vient après. C‘est pour cela que l‘Afrique m’apparaît tel le « crystal » du monde. Un « Crystal « qui s’est fragmenté en plusieurs parties ; notamment, les îles Caraïbes. Mais le fait que ce sont les peuples noirs qui l’ont eux-mêmes fragmenté en se déplaçant ne les a pas empêchés de maintenir leur lien avec la Mère-Afrique. Mon héritage culturel, et par conséquent ma musique, est le produit de cette confluence afro-caribéenne…
Un concept-album qui reste malgré tout d’essence typiquement britannique, malgré les participations à la production des ex-Family Stand, les Américains Jeffrey Smith et Pete Lord.
Des’Ree, I Ain’t Movlng(Sony Soho Square)